Anna Geneste

Si la photographie m’intéresse c’est parce qu’elle découpe la réalité. Si elle reproduit le monde, elle ne le fait que par fragment. Une fois saisi, le reste du monde est éliminé par ce découpage. La présence implicite du reste du monde et son expulsion explicites sont deux aspects autour desquels travaillent mes installations. Je donne à ces découpages de réalité le statut de prélèvements, car ils peuvent également être des vidéos, et des objets décontextualisés.
C’est justement parce qu’ils sont hors de leur contexte d’origine que je peux intervenir dans cet espace de liberté, que produit le cadre, et que je cherche à agir sur la lecture de ces prélèvements en les déplaçant de leur condition de souvenir vers des expériences sensibles d’espace et de temps dont ils sont le centre.
J’utilise des oppositions comme surface et volume, fixe et mobile, champ et hors champs, cadre et hors-cadre, ombre et lumière, perspective et aplat, entre lesquelles, dans mes installations, je fais des allers/retours. Ces passages sont marqués par les glissements d’un médium à un autre. Mes prélèvements sont alors placés dans des situations d’entre deux (entre deux notions opposées). Ce qui me permet de poser la question de savoir s’il est possible de considérer une transformation comme un état (c’est à dire quelque chose de fixe) et non comme une transition ?
Et cela me permet de faire le lien avec les objets fractals de Benoit Mantelot, la courbe de Von Koch : plus qu’une ligne moins qu’une surface et l’éponge de Sierpinsky : plus qu’une surface, moins qu’un volume, ce sont les exemples mathématiques d’une représentation d’un entre deux. Ces exemples sont tirés de Mille plateaux de Deleuze qui définit l’espace lisse et l’espace strié comme deux oppositions qui ne cessent de se traverser l’une et l’autre. Ce qui m’intéresse est cette contradiction entre représentation (donc figée) de l’instable autant que le caractère d’infini qui les caractérise.